Beaucoup s’inquiètent de la prise de parole en public. Peu de la qualité de la pensée qui précède l’exercice. Et c’est bien là où se trouve la clef du succès. Non dans la question : « Qu’est-ce que je veux dire ». Mais dans cette autre bien plus généreuse : « Qu’est-ce que je veux qu’ils retiennent quand j’aurai fini de parler ? »
Nous avons tous « la manie de faire des phrases ». Quand on nous demande de parler pendant cinq, dix ou vingt minutes, le calvaire commence. Bouche sèche, mains moites, cœur battant, respiration courte. Et dans notre préparation, nous grattons, nous écrivons, nous raturons. Nous recommençons. Nous convoquons tout notre savoir, recueillons des citations, requerrons des synonymes, ajoutons des adjectifs qui sonnent fort. On dirait une meute hérissée lâchée après une proie invisible. Tous les effets sont requis. Et toute la complexité du monde aussi.
La double erreur
Quand nous nous préparons à une prise de parole en public, nous nous attablons devant notre ordinateur ou pianotons sur notre tablette. C’est notre première erreur. L’oralité se prépare par l’oralité. Et puis nous voulons tout dire. La deuxième erreur est de conférer à l’oralité les vertus dont elle est dépourvue. Nous la croyons exhaustive ; elle n’est que sommaire. Nous la pensons efficace ; elle est le moyen le plus chétif pour faire passer une idée d’un esprit à l’autre. Parler, c’est obliger l’autre à penser à la vitesse à laquelle on parle.
Alors comment parler ?
La bonne question est plutôt : « Comment bien penser ». Car avant les mots, mieux vaut considérer les idées. Et se poser la question suivante pour réussir sa prise de parole en public : « Que veux-je qu’ils retiennent et répètent quand j’aurai fini de parler ? » Répondez à cette question oralement, à l’aide d’un mot ou d’une phrase principale. Et tant que votre phrase n’est pas claire, tentez un nouvel essai. Exigez de vous la précision de l’idée. Répétez-là oralement au lieu de l’écrire. Éliminez les mots inutiles. Le premier secret du bien parler loge dans le penser clair.
Aujourd’hui nous courons après les mots plutôt que de polir le cristal de nos idées. Doit-on s’étonner de quelques confusions ?
Le SAV
La parole est le service après-vente de la pensée. Elle ne peut que la suivre. Notre époque fait qu’elle la précède souvent et sonne creux. Une fois l’idée établie, livrons- la à l’empire des mots. Qu’ils soient sobres et justes ; que chaque phrase soit principale, en ce sens qu’elle ne comporte qu’une seule information ; que les verbes sonnent l’action et les mots les images.
Sincérité
Et tout cela n’est peut-être pas encore le principal pour une prise de parole en public réussie. Ce qui nous ravit quand nous écoutons autrui, c’est sa sincérité manifestée au service d’une idée et d’un public. Il est triste quand ses mots le sont, et joyeux quand les phrases sourient. Il est profond quand le moment l’exige et léger pour les autres occasions. On le comprend bien et on le sent sincère. Ici est l’autre secret. Mobilisez tout ce que vous êtes devenu avec vos qualités et vos défauts, pour assurer votre parole. Vous êtes concentré et sans fard, au service d’une idée que vous avez pris le temps d’éclaircir dans toute sa complexité. Vous la servez avec des images et des illustrations, des analogies et des prétéritions. Maintenant, répétez et répétez encore, Répétez inlassablement. Que de labeur ne faut-il pas pour être sincère !
Le sommet de votre art dans la prise de parole en public atteindra un état de grâce quand votre sincérité deviendra votre premier argument. Je crois profondément dans cette élégance de l’être, mobilisé avec vérité dans toutes ses intelligences au service d’une idée et d’un public.
Nos mots doivent prendre appui sur une idée. Alors, « sous leurs pieds, ils tiennent le globe ».